Lettre aux Actionnaires de la CGT :
Mesdames, Messieurs les actionnaires,
Vous voilà aujourd’hui réunis pour décider
du partage des fruits de vos placements financiers et des orientations à tenir
pour continuer à les faire fructifier.
Pour notre part, nous intervenons ici en
représentants des sociétaires et plus largement par extension en représentants
des usagers et salariés des Caisses Régionales Mutuelles de Crédit Coopératif
de Crédit Agricole.
Les résolutions qui vous sont proposées
sont organisées en 8 thèmes : le premier vous concerne directement avec
l’approbation des comptes et l’affectation des résultats, le troisième concerne
la composition du conseil d’administration et les cinq derniers proposent
d’objectiver plus fortement les dirigeants dans la course aux résultats et aux
profits distribuables en les incluant toujours plus dans le cercle de cette
redistribution in fine.
Vous conviendrez que de fait cette réunion
est extrêmement centrée sur le partage des profits à l’étape ultime, entre les
seuls actionnaires. Ce principe pourrait ne soulevait aucun questionnement si
par ailleurs tous les agents économiques qui ont contribué à ces résultats
étaient traités avec le même égard.
Mais le seul rapprochement du montant des
bénéfices distribuables, à presque 16 milliards d’euros, au regard d’une
augmentation annuelle des salaires de moins de 85 millions pour les 69 000
salariés des Caisses régionales, mérite que l’on reconsidère les discours de
nos dirigeants invoquant l’impossibilité d’augmenter les salaires de ceux qui
travaillent quotidiennement pour produire cette richesse bien concrète dont
vous allez acter le partage. Et à cela s’ajoute le questionnement autour du
comment est produite cette richesse que nous évoquerons plus tard.
Souffrez donc notre appréciation
légitime : il est pour nous honteux d’afficher de tels résultats
aujourd’hui, alors que des familles vivent dans la précarité, que d’autres ne
peuvent pas se loger, se nourrir, s’habiller, que les salariés croulent sous le
travail jusqu’au syndrome d’épuisement professionnel et s’inquiètent de ne plus
en avoir demain avec le développement de la banque digitale, des coopérations
internes et des choix d’externalisation de certaines de nos activités.
D’autre part, noyé au milieu de l’unique
sujet du bénéfice, le second thème doit attirer tout particulièrement votre
attention. Il s’agit là pour vous de valider Euréka, nième opération de
sauvetage de Crédit Agricole SA mais probablement pas la dernière. Outre les
transferts financiers puisés dans les fonds propres des Caisse régionales,
cette opération expose fortement les Caisses régionales aux risques assurance
au travers de la Garantie Switch, contrairement à la sémantique rassurante
utilisée pour évoquer ce sujet.
Ce sujet nous amène à vous rappeler le
sens de l’histoire.
123 ans se sont écoulés depuis la loi
autorisant la création des Caisses Locales en 1894 sous statut de société de
crédit coopératif. Les Caisses Régionales sont apparues en 1899 pour encourager
la création de nouvelles caisses locales et les fédérer. Et c’est seulement en
1926 que l’office National du Crédit Agricole créé en 1920 prend l’appellation
de Caisse Nationale de Crédit Agricole et devient un établissement public sous
la tutelle du Ministère de l’Agriculture.
Durant quasiment 70 ans, cette structuration
basée sur un maillage cantonal et des valeurs mutualistes de proximité voulait
répondre à un objectif vertueux et a permis le développement du Crédit Agricole qu’il est sûrement indispensable
de vous rappeler. Les valeurs du coopératif mutuel sont la solidarité entre ses
membres, la démocratie (1 homme = 1 voix) avec un objectif de non lucrativité
comme l’indique la mention de A-capitaliste dans les statuts du Crédit Agricole
Mutuel coopératif A-capitaliste.
Il s’agit bien là du cœur du sujet qui
vous est confié aujourd’hui dans cette assemblée.
Souvenez-vous : en 1988 la Caisse
Nationale du Crédit Agricole Mutuel a été privatisée au profit des Caisses
régionales. Cet évènement est le point de départ d’une course aux résultats
légitimée par Maastricht et justifiée par la technostructure au service du
capitalisme financier boucle dans chacune des agences, pour à la fois effrayer
et motiver chacun des salariés : « dans le cadre de la
mondialisation, face à une concurrence exacerbée et pour la pérennité de
l’entreprise , nous devons doubler les résultats».
Tous ces efforts, toute cette confiance
des sociétaires et usagers, tous ces sacrifices, ce travail des salariés pour
amener cette grande, riche et belle entreprise aux mains de l’actionnariat en
décembre 2001 à la veille du passage à l’euro.
Mesdames, Messieurs, vous conviendrez que
nous avons mis entre vos mains une entreprise en bonne santé, riche en fonds
propres, indépendante des marchés financiers, équilibrée, première en part de
marché, utile à l’économie réelle et encore un peu Humainement responsable.
Qu’en avez-vous fait de cette belle
entreprise ? La recherche constante et aveugle de la progression des
profits réalisés par l’exploitation du travail des salariés, par la facturation
plus large et plus forte des usagers les plus pauvres, par l’abus de confiance
des administrateurs, des sociétaires, des usagers et des salariés, conduit à
quoi ?
Vous avez validé des opérations
spéculatives dans l’espoir de gagner plus, vous avez validé des opérations de
développement externe avec des acquisitions hasardeuses, tout cela pour la douloureuse
facture totale de 25 milliards à minima ! 25 milliards qui font défaut à
l’économie réelle, aux financements des entreprises, à la création et au
maintien des emplois, à l’augmentation des salaires, 25 milliards initialement
acquis par le travail des salariés et des usagers.
Avec de telles opérations à votre actif,
concepteurs et valideurs êtes mal placés selon nous pour parler de
compétitivité et de coût du travail ! De toute évidence la gestion
capitalistique de ces fonds, décidée par les technocrates dirigeants et validée
par vous est bien l’unique responsable de ces pertes abyssales !!
L’opération Euréka n’est qu’un pansement de plus pour couvrir les conséquences
de cette dérive capitaliste du Crédit Agricole Mutuel.
Nous pensons urgent d’en finir avec une
telle politique où l’antagonisme de classe est omniprésent au profit des
possédants : votre classe. Oui les intérêts des actionnaires ne sont
pas ceux bien plus nombreux des sociétaires, usagers et salariés.
Nous préconisons à titre préventif, pour
nous déposants, d’opérer une séparation des activités et d’envisager rapidement
une renationalisation de l’organe central du Crédit Agricole, sous contrôle des pouvoirs publics, des sociétaires, usagers
et salariés.
Prenez
conscience, Mesdames, Messieurs, que vous ne vivrez pas heureux dans une
société minée par la précarité et la misère, quelle que soit votre niveau de
richesse. C’est au prix d’un juste partage que nous gagnerons une société
apaisée.