EXTRAIT DE CAPITAL.FR
Le patron de la CGT, Philippe Martinez, annonce la participation de sa centrale à une grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites, le 5 décembre prochain.
Pour Capital, il détaille ses principaux griefs contre le futur régime universel et la façon dont le gouvernement mène les négociations.
Un front commun contre la réforme des retraites est en train de se dessiner.
Après la grève très suivie à la RATP en septembre dernier et le mouvement lancé par les professions libérales, une grève interprofessionnelle est annoncée pour le 5 décembre prochain.
Huit organisations syndicales et de jeunesse (CGT, FO, FSU, Solidaires, FIDL, MNL, UNL et Unef) appellent les salariés et les fonctionnaires à cesser le travail. Pour Philippe Martinez, secrétaire géné-
ral de la CGT, c'est la seule façon de se faire entendre face à un gouvernement qu'il considère comme têtu. Le chef de file de l'organisation syndicale explique pourquoi cette réforme met en danger le principe même de la solidarité et quelles sont les améliorations à apporter au régime actuel.
Capital : Depuis le départ vous êtes contre la mise en place d'un régime universel ?
Philippe Martinez : Le régime universel c'est de la communication. L'universalité c'est Diderot, Rousseau sauf que ce n'est pas ça la question. L'enjeu c'est la solidarité. Le futur régime tel qu'il est présenté aujourd'hui n'est pas solidaire.
Capital : Que lui reprochez-vous ?
Philippe Martinez : Il y a une vraie contradiction. On dit que chaque euro cotisé doit ouvrir des droits et on ne parle pas de chaque euro perçu. Donc c'est un système totalement individualisé. Celui qui ne peut pas cotiser un euro parce qu'il est au chômage ou parce qu'il est précaire sera lésé. C'est tout le contraire de la solidarité.
Capital : Vous considérez que le système actuel est plus solidaire ?
Philippe Martinez : Oui, mais cela ne signifie pas qu'il n'y a rien à changer. Il faut amplifier la solidarité dans notre régime actuel. Je pense par exemple aux efforts à faire envers les jeunes générations. En 1945, au moment de la création de notre régime de protection sociale, l'âge moyen de l'entrée dans la vie active tournait autour de 17 ans.
Aujourd'hui, c'est plutôt 25 ans. La société pousse les jeunes, à juste titre, à faire des études. Mais, en contrepartie, il faut être solidaire car ils ne pourront pas cotiser 44 ans au risque d'avoir peu de retraite.
On pourrait décider de prendre en compte leurs périodes d'études et les considérer comme des périodes cotisées. Ainsi, ils pourraient acquérir des droits. Nous estimons aussi que les périodes de non activité comme le congé maternité ou paternité doivent être mieux prises en compte pour la retraite.
Capital : Il faut donc rester avec les 42 régimes existants ?
Philippe Martinez : On peut faire évoluer ces régimes. Nous ne sommes pas contre. Ce que nous refusons c'est de dire qu'il existe des privilégiés. On peut très bien envisager une maison commune avec les mêmes règles de cotisation et mettre en place un système de solidarité entre les professions.
Il y a en effet des régimes comme celui des avocats où il a plus de cotisants et d'autres comme la SNCF ou les mineurs où l'État doit remettre au pot. Mais il est lui même responsable de cette situation puisque c'est lui qui gère la politique de l'emploi à la SNCF. En réduisant les effectifs et en externalisant certaines tâches, logiquement, il y a moins de cotisations.
Quel que soit votre parcours professionnel, vous devez avoir les mêmes droits que les autres et ne pas être pénalisé lorsque vous êtes malade ou enceinte. Il faut aussi être solidaire avec les nouvelles formes de l'emploi, je pense notamment aux livreurs à vélo qui ne cotisent pas pour leur retraite. Je ne suis pas nostalgique mais Ambroise Croizat, qui a créé la Sécurité sociale, disait “je cotise selon mes moyens, je reçois selon mes besoins”. Il n'y a pas plus belle formule pour symboliser la solidarité.
Capital : Pourtant, le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, affirme que le régime universel favorisera tout de même les carrières heurtées...
Philippe Martinez : Le gouvernement est fort en communication mais comment le prouver ? On dit qu'un euro vous rapportera des points mais on ne connaît pas la valeur du point. Et on nous assure que le point ne pourra pas baisser, mais quelles seront les garanties ?
Imaginez que Bruxelles dise que nous ne sommes pas dans les clous pour le déficit, qu'est-ce qu'on fait dans ce cas ? Qui nous dit que l'on ne baissera pas la valeur du point ?
Capital : Les femmes sont aussi présentées comme les grandes gagnantes du
régime universel. Y croyez-vous ?
Philippe Martinez : Jean-Paul Delevoye rame sur des sujets qui n'ont rien à voir avec la retraite. Il dit que le futur système sera super pour les femmes.
Mais, pour réduire les inégalités de pension entre les femmes et les hommes, il n'y a pas besoin de changer le système de retraite. Il suffit de payer les femmes comme les hommes, de régler les inégalités en matière de déroulement de carrière et de temps partiel imposé. Alors, automatiquement les écarts à la retraite entre les sexes seront réduits. Il faut commencer par la source du mal.
Capital : Vous refusez que l'on incite les actifs à travailler plus longtemps ?
Philippe Martinez : Il faudrait déjà que ce soit possible. Une grande partie des salariés sont dégagés vers le chômage à 56 ou 57 ans. Et qui organise ces départs ? Ce sont les grandes entreprises avec la bénédiction des gouvernements.
Pourtant, la solution est simple. Vous gardez ces personnes en emploi jusqu'à 60 ans, ce qui fait trois ans de salaire et de cotisation en plus et autant de chômeurs en moins. Il n'y a pas besoin de réformer la retraite. Ensuite, l'âge légal n'a jamais obligé personne à partir, ceux qui veulent continuer à travailler peuvent le faire.
Il y a deux choses que tout le monde veut savoir : à quel âge j'ai le droit de partir et avec combien. On devrait avoir le droit de partir à 60 ans avec une retraite correcte. Lorsqu'Emmanuel Macron dit qu'on garde l'âge légal mais qu'il faudra cotiser plus longtemps, c'est prendre les gens pour des imbéciles car le résultat est le même.
Capital : Pour le gouvernement cette mesure est pourtant indispensable pour
assurer l'équilibre financier du régime...
Philippe Martinez : Aujourd'hui, le déficit représente l'équivalent de 7 jours de cotisation pour l'ensemble des cotisants. Donc pour le combler, il suffit de réduire le chômage et de passer quelques femmes du temps partiel aux 35 heures.
Par contre, avec le vieillissement annoncé de la population, il est évident qu'il faut trouver de nouvelles ressources. L'une des solutions est de revoir les exonérations de cotisation des entreprises qui, d'après la Cour des comptes, ont représenté plus de 90 milliards d'euros. Nous plaidons aussi pour une augmentation des salaires et donc mécaniquement des cotisations en donnant moins aux actionnaires et donc en redistribuant mieux les richesses.
Capital : Vous avez pris part à la concertation sur le sujet il y a 18 mois, vous
voulez continuer à négocier ?
Philippe Martinez : Nous ne savons pas encore si nous allons participer au nouveau cycle de négociation qui a commencé. Nous consultons les organisations de la CGT jusqu'à ce vendredi. Et si l'on participe, ce sera pour discuter des sujets que l'on souhaite et pas de ceux qui nous sont imposés.
Capital : L'avenir de la réforme des retraites va se jouer dans la rue ?
Philippe Martinez : Vu la qualité d'écoute du président de la République, je ne vois pas comment cela peut se passer autrement. La retraite est une question qui touche tout le monde et, contrairement à d'autres réformes, le président de la République ne réussit pas à opposer les gens entre eux. Une majorité de Français doute de l'efficacité du futur régime.
Nous participons à une intersyndicale qui lance un mouvement de grève le 5 décembre prochain. Nous travaillons pour un mouvement uniforme, c'est la solution pour se faire entendre.
Nous avons discuté, mais comme en face le gouvernement est têtu, je ne vois pas d'autres solutions. Nous comptons aussi faire beaucoup de pédagogie en organisant des débats sur cette question un peu partout en France.